jeudi 1 octobre 2015

UN FRANCAIS SUR SEPT

Je suis mère célibataire employée à mi-temps. Je suis intérimaire en fin de droit. Je suis à la fac avec un job d'appoint. Je travaille au noir ou en CDI. Je suis à la retraite. Je suis à terre et je mendie. Je suis un enfant, un père, une mère. Je vis en dessous du seuil de pauvreté.

Je mène un combat perdu d’avance. Je m’efforce à garder la tête hors de l’eau. Ce que j’ai su je le perds avec le temps. J'oublie jusqu'à l'écriture et la lecture. A quoi bon lire. Quand je reçois du courrier, c'est pour payer. Et compter ne me sert plus, je suis toujours à découvert. Les repères m’abandonnent peu à peu, ma parole diminue mot par mots, J'entre dans l’illettrisme petit à petit.

Je reçois plein d’aides : RSA, alloc, sécu, la cantine des enfants si le maire veut bien. A la condition de prouver mon état. C’est mon travail : expliquer que je suis pauvre. Les autres me disent : « Avec tout ça, t’as plus besoin de travailler ». Oui, je reste chez moi. Je renonce à ma fierté, à mes responsabilités, à ma liberté. Je veux donner et je ne sais que percevoir.

Je me nourris, je mange sans plaisir. Parfois, je vais au resto… du cœur… en cachette. Je suis obèse. La bouffe premier prix. Patates, riz, nouilles. En alternance. Cinq fruits ou légumes par jours. Quel rêve ! Je pars travailler à jeun. Un verre d’eau, c’est tout. Je ne tiens pas le coup jusqu’à midi, la pause. Je me fais jeter. Bien sûr, je suis incapable... mais pas coupable!

Je regarde la télé réalité, les émissions de cuisine, les jeux. Ça m'occupe l'esprit. J'y vois des gens qui prennent du fric, tant mieux pour eux. J’irai à la Star-Ac. Pour la première fois, je verrai un concert, des célébrités, c'est gratos. La culture ? Ma place n'est pas au théâtre. Combien coute une place ? Même un ticket de cinéma est cher. La musique, les films : « j’pirate ».

Le logement que je partage est insalubre. La seule chaleur est sur un matelas à même le sol : une couverture et mon chien. Ce sont les seuls réconforts. L'amour est impossible. La solitude pèse lourd. Comment prendre le temps d’aimer ? Chaque jour, je survis pour l’essentiel. Quant au sexe, il suffit de payer. Si ça marche encore.

Je passe des journées entières sans sortir, sans parler, sans penser. Sans vivre. La vie allongée rend fou. Je bois et je fume plus que la moyenne. Je me lave moins souvent. J’éteins les lumières pour économiser. Évidemment, je tombe malade. Je suis à la CMU. Les docteurs en ville refusent de me soigner, à l'hôpital je passe après tout le monde. Je ne suis jamais une urgence. Je suis renvoyé d’où je viens. Je risque la tuberculose, la galle, les poux. J’ai honte.

Alors, je vote quand j'y pense. Je suis révolté bien que soumis par la fatigue. Je vote pour ceux qui me promettent de foutre le système en l'air, de jeter les étrangers à la mer, d'augmenter les salaires à 1500 euros, de virer les politicards, de foutre en taule le salaud qu’a brulé ma bagnole, de faire la guerre aux riches, de fusiller les traitres. Pourtant… oui pourtant, je sais que ceux-là aussi me trahiront car ce sont tous les mêmes.

Je travaille mal à l'école. Pour apprendre, il me faut au moins une table et un crayon et un cahier et du calme. Papa ou maman ne peuvent plus m'aider. La maitresse qui me donne mon petit déjeuner est là pour m’éduquer. Mais la maitresse dit : "Pas le temps. Et le programme, tu comprends, faut le suivre." Qu'est-ce qu'on apprend à l'école ? Des conneries qui servent à être chômeur, comme le reste de la famille. Dans quelle société je vais vivre plus tard?


Vous me méprisez et me moquez au seul défaut de ma pauvreté.
Je résiste parmi vous silencieusement avec moins de 27 euros par jour.
Je suis cinq millions en France soit un français sur sept.
Un enfant sur cinq.

photo : xdf depuis depeche.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire